De l'amour et de la puissance du monde : mémoire murmuré à l'oreille sur le Prince de ce monde.

Bertram Park & Yvonne Gregory - Untitled, 1936. Fb boobs.


L'homme est né pour le plaisir : il le sent, il n'en faut point d'autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir.

L'on a ôté mal à propos le nom de raison à l'amour, et on les a opposés sans un bon fondement, car l'amour et la raison n'est qu'une même chose. C'est une précipitation de pensées qui se porte d'un côté sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison, et l'on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines très-désagréables. N'excluons donc point la raison de l'amour, puisqu'elle en est inséparable. Les poëtes n'ont donc pas eu raison de nous dépeindre l'amour comme un aveugle ; il faut lui ôter son bandeau, et lui rendre désormais la jouissance de ses yeux.

Tant plus le chemin est long dans l'amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir.

L'on écrit souvent des choses que l'on ne prouve qu'en obligeant tout le monde à faire réflexion sur soi-même et à trouver la vérité dont on parle. C'est en cela que consiste la force des preuves de ce que je dis. (…) Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvements de l'amour de leur héros : il faudroit qu'ils fussent héros eux-mêmes.

Pascal, discours sur les passions de l'amour.

Pascal, un héros de l'âme. Il n'est d'antinomie entre ce discours sur les passions de l'amour et les pensées qu'au plan verbal, logique, mais pas au plan psychique, moins encore au plan de l'esprit. Dit autrement, il n'est d'antinomie entre le plaisir, l'hédonisme, et l'ascétisme, le cilice que sur des plans tout à fait superficiels. Combattre l'ascétisme au nom de l'hédonisme est esprit de géométrie, mais absence d'esprit de finesse, manque de lucidité. Le frottement du cilice et la mystique ont leurs délices et leurs extases.

La sincérité et la lucidité sont, en Enfer, le signe d'un héroïsme d'acier. Et ce monde est un enfer, dont la prémonition fut donnée par la prophétie. Taliésin dit : malheur à celui qui a perdu le céleste pays et la grande amitié. Le céleste pays de l'échelle de Jacob et des étoiles invisibles, et la grande amitié de Satan et de Dieu, des Sages et des hommes mauvais. Cette amitié est une amitié de l'intérieur, comme un foyer de l'âme. Le Sage de l'Inde connait ce mantra suprême : tu es aussi cela. Et cela, encore. Tu es aussi Caïn.

Tu es le monde. En toi s'unissent Dieu et Diable, l'Un et le multiple, le mâle et la femelle. L'amant sublime et le saint, le mathématicien et le tragique. Et le haut désir mène la danse depuis l'origine.

Quelle folie est-ce que l'homme !

Sois amoureux de l'amour et demande à Dieu la force et la sagesse de l'exprimer - Gabriel Garcia Marquez. Je le demande à Dieu, mais je suis aussi, comme le monde, enivré par le sang et la puissance. Car l'amour est comme un arbre qui s'enracine dans les profondes cavernes du cœur: sang rouge feu, souffle de l'esprit, sublimes folies de l'âme. Hafez chante l'air qui s'insinue entre les branches de l'amandier et rafraichit la couche des amants, sous la tente de soie . Il chante l'ivresse divine et l'ivresse de l'amour, l'ivresse du prince et l'ivresse de l'amitié guerrière.

Il est peu de choses qui fondent, en vérité, ceci qu'il est préférable aux mortels de vivre, plutôt que d'aspirer à la mort ; et le poète a en commun avec le sage de ce monde d'être du côté de la vie – c'est à dire du côté du diable, comme le savait William Blake. Il est préférable de vivre car il existe l'amour et la puissance ; et l'amour, l'amitié et la puissance sont des figures du lien entre les hommes. Pascal atteste ainsi cette vérité dans un des derniers témoignages en langue française d'une philosophie de la grandeur et du plaisir, une philosophie d'homme noble :

Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finit par l'ambition ! Si j'avois à en choisir une, je prendrois celle-là. Tant que l'on a du feu, l'on est aimable ; mais ce feu s'éteint, il se perd : alors que la place est belle et grande pour l'ambition !

La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n'y ont aucun plaisir ; ils sont machines partout. C'est pourquoi l'amour et l'ambition commençant et finissant la vie, on est dans l'état le plus heureux dont la nature humaine est capable.

A mesure que l'on a plus d'esprit, les passions sont plus grandes, parce que les passions n'étant que des sentimens et des pensées, qui appartiennent purement à l'esprit, quoiqu'elles soient occasionnées par le corps, il est visible qu'elles ne sont plus que l'esprit même, et qu'ainsi elles remplissent toute sa capacité. Je ne parle que des passions de feu, car pour les autres, elles se mêlent souvent ensemble, et causent une confusion très-incommode ; mais ce n'est jamais dans ceux qui ont de l'esprit.

Dans une grande âme tout est grand.

Être lucide pour l'homme est reconnaître l'amour et la puissance comme fondement de la vie humaine, quand bien même il n'a ni amour ni puissance, même dans la plus grande solitude et l'âpreté de la misère. Il n'est pas bon que l'homme soit seul, dit le livre de la Genèse. Et le Livre raconte que le meurtre du frère, le mensonge auprès de son père sur son lit de mort, sont à la mesure du désir de bénédiction de la terre par la puissance, et du désir d'amour de l'homme. Car c'est ce que nous savons d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants – mémorial de Pascal.

La vie, éternellement, a besoin de deux, de la division, de la multiplicité qui permet la naissance et le manque, et l'amour et la possession, et l'errance, et aussi le mal et les désirs mauvais, tout autant qu'elle aspire à l'unité. Comme le dit le Druide du Barzaz Breizh, l'Un est pour le vivant la nécessité unique, la mort, mère de la douleur.

L'identité est un principe du vivant. L'unité, fondement de l'identité, est un principe du vivant. Mais l'Un est redoutable, mortel au vivant. L'Un ne peut suffire au vivant, voyez vous ? La vie est du côté du Diable. Parfois le poète l'ignore ; mais le sage lui le sait.

Il le sait, l'ascète qui aspire à l'unité en étouffant la vie de son corps au nom de son désir, et comme le Parfait cathare, qui entame l'endura, le jeûne à mort ; il le sait aussi, le sage qui porte l'épée, qui tranche et reflète sur sa lame toutes les images de l'univers. Ainsi les uns ont choisi l'Un et la mort au monde, et d'autres ont choisi le monde et la mort de l'Un pour sa plus grande gloire. Choisir métaphysiquement est une liberté antérieure à tout droit. Il n'y a pas de blâme à choisir la mort pour l'homme conséquent.

Mais ce n'est pas de cette voie dont je parle. Je parle de la voie de la Terre.

Choisir le monde est par essence ou choisir l'amour, comme Adam, ou choisir la puissance et la révolte, la vie dans le monde. Satan est le prince de ce monde. Mais il est un lien profond et caché entre ces deux pôles du désir, entre l'amour et la puissance. Satan et Adam se reflètent. A la question fondamentale de l'Archange, quis ut Deus ? (qui est comme Dieu ?), ils répondent : le prince de ce monde, le Roi du monde.

L'amant est roi. Et ce sont tes baisers qui me font Roi.

C'est pourquoi l'amour et l'ambition commençant et finissant la vie, on est dans l'état le plus heureux dont la nature humaine est capable. Il est parmi les délices des fils d'Adam l'Amour et l'Empire. Et j'ajoute, ces délices sont issus d'un tronc unique. C'est ce que je vais examiner.

La volonté de puissance et le désir d'amour sont la vie du vivant.


***
Commençons par dépeindre l'amour.

Le principe de l'amour est le deux qui se lie à l'un, comme une liane de chèvrefeuille. L'amour est à la fois l'assomption de la séparation, son délice et sa plus grande hauteur, et le repentir, le retour vers l'origine, vers l'Éden. L'amour est au sens propre le pain et le vin des mondes, la communion qui est le comme si l'histoire n'avait jamais eu lieu, comme si les hommes n'avaient pas commis d'erreurs définitives, des crimes impossibles à pardonner, comme si la nostalgie devait être oubliée dans l'instant du partage des délices, à l'aurore d'un baiser.

Au sens le plus simple, le plus naïf, les couples croient à chaque génération qu'il ne reproduiront pas les erreurs de leurs parents. Mais comme dit Céline, toujours elles ont recommencé.

L'amour est le monde justifié et sauvé, réconcilié en un lieu et en un instant. Il est fragile, mais irrécusable, tout comme la Fleur, fragile et irrécusable devant les genoux du sage immobile. Combien soit grande et amère la douleur du monde, le témoignage de la fleur demeure, quand bien même elle pousse sur le champ du sang, auprès de poteau couronnés de barbelés. Dans la grande illusion, l'officier allemand qui a dû tuer son ami prend des ciseaux, et coupe la fleur qui est l'objet de tous ses soins, dans la forteresse qu'il commande, et qui est une prison. Comprendre l'importance de son geste relève de ce savoir des premiers poètes.

Le témoignage d'amour est irrécusable, un monde nouveau est en puissance dans ce monde ancien. Ce monde a une consistance aussi puissante qu'illusoire, pierre et sable – maya. L'épée témoignera de même en brisant les mondes. Le mémorial d'un amour est un monument de la vie humaine. Le Cantique, l'histoire de Tristan et d'Iseult, les poèmes d'Hafez, le docteur Jivago sont les pierres nées de ces instants fragiles et irrécusables. Le poète est le témoin des plus grandes aurores, du lever du soleil dans l'âme.

Il n'appartient pas au sage de nier ce que seul l'ignorant peut nier. L'aveugle peut nier le témoignage de la splendeur, mais c'est lui qu'il abaisse vers son aveuglement – la splendeur demeure, intacte. L'homme de cabinet peut nier la puissance de l'amour dont il reçoit, incrédule, les témoignages ; il peut, n'ayant accès qu'à la forme des signes, poser des différences d'espèces entre les amours, parce que les paroles sont différentes. Il peut se croire très fort de poser le caractère nouveau, moderne, du désir d'amour, contre l'évidence.

Mais les même paroles peuvent voiler des choses profondément différentes, et les paroles différentes peuvent signifier la même puissance. L'Obscur dit : Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine. Il change comme [le feu] qui, quand il est mêlé aux parfums, reçoit un nom selon le bon plaisir de chacun. Le fidèle d'amour se reconnaît dans le Cantique, et ce depuis des milliers d'années. L'homme de cabinet ne fait que réduire le monde à sa misérable mesure, et se ferme à se qui pourrait l'élever. L'esclave peut nier la grandeur du Prince, peut l'insulter au passage, mais il ne pourra le renverser.

L'homme de cabinet peut, par des propos retors, donner à entendre que le poète ment, et que lui sait ce que dit le poète mieux que lui. Mais tout cela est mots vides, impuissance. A celui qui a goûté à la source de l'amour, à la fontaine scellée – à celui qui a rejoint un jour le confluent des deux mers, le témoignage du poète est la parole de l'expérience, de la vie, de la réalité même. Dante, dans la Vita Nuova, parle d'une femme et de puissances célestes, non d'allégories. Le Cantique des Cantiques est vrai dans ses moindres détails. Il serait aisé de montrer que Tristan reconnaît Iseult comme le Roi Salomon, comme une fleur au milieu des épines. Joseph Gikatila donne, dans son commentaire de l'épisode de David et Bethsabée, une explication similaire aux termes mêmes de Boulgakov dans le Maître et Marguerite.

« Elle me regarda avec étonnement et je compris tout d'un coup – et de la manière la plus inattendue – que depuis toujours je l'aimais, j'aimais cette femme ! Quelle histoire, hein ?(...)

L'amour surgit devant nous comme surgit de terre l'assassin au coin d'une ruelle obscure et nous frappa tout deux d'un coup. Ainsi frappe la foudre, ainsi frappe le poignard ! Elle affirma par la suite que les choses ne s'étaient pas passées ainsi, que nous nous aimions évidemment depuis très longtemps, depuis toujours, sans nous connaître, sans nous être jamais vus, et qu'elle-même vivait avec un autre homme (…)

Donc elle me disait qu'elle était sortie ce jour là avec des fleurs jaunes pour qu'enfin je la rencontre, et que si cela ne s'était produit elle se serait empoisonnée, car son existence était vide.

Oui, l'amour nous frappa comme l'éclair . Je le sus le jour même, une heure plus tard, quand nous nous retrouvâmes, sans avoir vu aucune des rues où nous étions passés (...)

Nous causions comme si nous nous étions quittés la veille, comme si nous nous connaissions depuis de nombreuses années (…) et bientôt cette femme devint secrètement mon épouse (...) »

Boulgakov, le Maître et Marguerite .

L'amour est le destin du Maître, dit Boulgakov. Et il est vrai que l'amant du Cantique est Roi, comme David est Roi, comme Tristan est un homme noble et un chevalier. Il est un lien entre la royauté du monde et la royauté de l'amour, et ce lien est un mystère des mystères des mondes, non du Ciel.

Dans l'instant de l'amour un lieu de perfection se pose sur la terre, ici et maintenant. Alors les paroles du Maître : sur la Terre comme au Ciel trouvent leur certitude. Comme celles de la Table d'Émeraude, table dont la matière est tombée du front de Satan : ce qui est en haut doit être comme ce qui est en bas, ce qui est en bas doit être comme ce qui est en haut, pour faire l'oeuvre d'une seule chose. L'amour est si peu illusoire qu'il justifie la révolte de Tristan face à son Roi, et d'Iseult face à son mari. Dans le combat ordalique, Lancelot vainc ses accusateurs en présence de la Reine, alors même que le Roi les a surpris nus. Dieu le choisit contre le droit des hommes. L'amour humilie l'ordre terrestre de sa puissance . Roméo et Juliette sont la condamnation de Vérone, et de l'ordre inique imposé par leur familles. Par l'amour, la femme adultère n'est pas jugée, la prostituée verse l'huile sainte sur le Roi.

Car c'est étouffer le monde entier que d'essayer d'étouffer un haut et puissant amour.

Ô princesse sublime ! Le roi, le chevalier et le poète te saisissent à peine, comme la main qui veut saisir les vagues de la mer. Et tu es le délice de la vie humaine, rivale de Dieu et de lui seul, ô miroir de toute beauté. Que les Cantiques te chantent. Que Dieu te bénisse du lait et du miel des prophètes !



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Je veux aborder désormais la question de l'homme de destin, de l'homme de puissance.

L'homme de puissance est une force qui va, qui file comme la truite dans le rapide, un reflet d'argent pour les autres hommes.

Par l'impact de sa puissance, un tel homme brise en mille morceaux les mondes anciens, et chasse les rois comme un gibier. Il est bon de se remémorer la force de l'expression, le fléau de Dieu. Ou encore celle de Roi des derniers temps que porta Frédéric II Hohenstaufen. Hegel ne dit pas autre chose de Napoléon, quand il le vit comme l'Esprit du monde en mouvement.

Là encore, le témoignage du passé est irrécusable. Des hommes ont pris leur siècle dans le creux de leur main. Des hommes ont conquis l'univers, un Empire tel qu'il ne peut être parcouru en l'espace d'une année à cheval, comme l'Empire de Gengis Khan. Des hommes ont fondé des Empires séculaires, comme César, dont le nom a été porté chez de multiples peuples pendant des dizaines de siècles. Des hommes ont édicté des codes de lois pour des peuples en nombre indéfini, fondé des calendriers, arbitré la vie et la mort, le Bien et le Mal. Comme l'amour dans l'espace du jardin, l'Empire est fondateur de mondes.

Ces hommes voulaient leur destin. César, au retour de sa propréture en Espagne à plus de trente ans, pleura devant une statue d'Alexandre le Grand, qui a son âge avait déjà conquis un Empire. Gengis Khan savait qu'en unifiant les tribus mongoles, comme il y passa d'âpres années, il créait la puissance d'un immense Empire, qui allait déferler sur le monde. César Borgia fut de ces Princes fascinés par la puissance, en quête de la puissance, et Nicolas Machiavel fut le poète de ce prince noir et dur comme l'acier.

Reste à montrer le lien existant entre les pratiques de puissance temporelles et les liens entre les sexes. Car c'est sur ce sujet que porte la pensée.

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L'homme de puissance est aussi, très souvent, un séducteur. César était l'homme de toutes les femmes, la femme de tous les maris, selon ses propres soldats. Il semble avéré que plus d'un humain sur dix parmi les habitants actuels de l'Asie centrale ont des gênes, donc des ancêtres gengiskhanides. Je ne crois pas que la conquête du désir soit un objet accessoire de la conquête de la puissance, pour laquelle beaucoup d'hommes sont encore et toujours prêts à mourir. Au contraire, je tiens la motivation du désir envers la femme pour essentielle. L'accès à la puissance de la terre est l'accès à toutes les nourritures terrestres – tous les hommes de puissance le savent.

Le plaisir du sexe est un nœud de l'échange et du lien entre les êtres humains. Comme le note Marcela Iacub, les femmes tirent leur puissance sur les hommes du contrôle de l'accès à ce plaisir, à cette ressource. Leur désintérêt relatif pour le plaisir sexuel est une attitude apprise indispensable à l'ordre des liens entre les sexes. Le modèle moderne n'est rien de plus qu'une variation libérale de cette position structurale. Se mettre en valeur, pour les femmes n'est rien d'autre que d'élever le prix de cet accès ; mais comme pour les hystériques, cette mise en valeur ne doit pas dans la logique sociale aboutir à l'épanouissement orgiastique. Élever des interdits est aussi élever le prix de cet accès en organisant la rareté. Affirmer l'importance du consentement est assurer les femmes de la souveraineté sur cet accès. Notre modèle social promeut les mannequins par une propagande quasi politique et condamne lourdement la femme présentée comme objet de désir. Notre modèle multiplie les interdits moraux et légaux au nom de la liberté : tout cela est contradictoire en raison, mais harmonieux dans une perspective fonctionnelle, la seule déterminante.

En échange de cet accès au plaisir, les femmes obtiennent l'accès à d'autres ressources : ressources de la terre, richesses, honneurs, parfums, soieries, nourritures, reconnaissance, et aujourd'hui pouvoir fonctionnel.

Et de même que la propriété permet d'arbitrer l'éternelle dispute sur le partage des ressources du monde, le mariage monogame occidental permet d'arbitrer le partage des partenaires sexuels en posant la question comme close à l'issue de l'adolescence. Bien sûr, elle ne l'est pas, mais la question de la propriété non plus. Et de même que les voleurs sont mal considérés, ainsi les voleurs de cœur sont mal considérés, même s'ils n'encourent plus les même foudres légales.

Le féminisme le plus courant est la continuation de l'organisation de l'emprise des femmes sur les hommes par le sexe. Marcela Iacub souhaite sortir de cette situation hypocrite et sans issue en organisant la surabondance sexuelle. La surabondance sexuelle sans contrôle autoritaire est en effet la seule réponse anarchiste à la structuration du rapport homme – femme dans la société autoritaire. Mais les conséquences de cette proposition restent à assumer. Dans le monde réel, nous restons sur ce modèle, y compris à ce jour.

Je n'aborderais pas ici la question de l'amour homosexuel, mais cette question mérite d'être abordée. L'amour homosexuel a longtemps fait figure de modèle concurrent de surabondance sans conséquences, sans filiations, de modèle de sexe gratuit et sans contrôle. Il est clair que la légalisation en cours est aussi une volonté de normaliser la puissance subversive du sexe homosexuel – et d'ailleurs, ce désir de normalisation est mené par des féministes lesbiennes d'obédience nettement puritaine.

Globalement, en occident, la question des liens entre les sexes reste profondément impensée. J'avais écrit à  ce sujet il y a déjà longtemps, et je vais republier ce texte.

***


L'amour est irrécusable, au dessus du temps et du monde. Mais il naît dans le monde réel. Dans le monde réel, les partenaires sexuels sont une ressource dont des êtres humains avides de puissance cherchent à contrôler l'accès, selon différentes figures. A ce titre, l'éducation morale des jeunes gens est trop souvent une forme de domestication, voire d'aliénation en vue d'une exploitation.

Il faut poser des vérités brutales, des faits. Alors la question de la puissance subversive de l'amour du poète - l'amour de Tristan et d'Iseult, l'amour du Maïtre et de Marguerite, l'amour de Jivago et de Lara - dans un monde d'argent et de puissance trouvera sa signification, irréccusable comme la fleur qui pousse dans les fissures du béton des murs, comme la lune qui se reflète dans les flaques d'eau des villes.

Le monde, a dit un assassin sicilien anonyme, est une grande bête féroce, avec ses mystères. L'amour destinal est enraciné dans cette réalité.

Vive la mort !

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Zinaida Serebriakova